
L’exploitation intensive des ressources naturelles sur les terres ancestrales des peuples autochtones constitue l’une des plus graves menaces à leur survie culturelle et physique. Cette pratique, connue sous le nom d’extractivisme, s’intensifie dans un contexte mondial marqué par une demande croissante en matières premières. Face à cette réalité, les communautés autochtones développent des stratégies de résistance variées, tandis que le cadre juridique international évolue pour reconnaître leurs droits territoriaux. La tension entre développement économique et préservation des modes de vie traditionnels soulève des questions fondamentales de justice environnementale, d’autodétermination et de droits humains collectifs.
Le phénomène extractiviste et son impact sur les territoires autochtones
L’extractivisme désigne un modèle économique fondé sur l’extraction intensive de ressources naturelles, principalement destinées à l’exportation avec peu ou pas de transformation locale. Ce système d’exploitation s’observe particulièrement dans les secteurs miniers, pétroliers, gaziers, forestiers et agro-industriels. Dans de nombreuses régions du monde, ces activités se déploient sur des terres traditionnellement occupées par des peuples autochtones, souvent sans leur consentement préalable.
Les conséquences de ces pratiques sont multidimensionnelles. Sur le plan environnemental, l’extractivisme provoque une déforestation massive, la pollution des cours d’eau et des sols, ainsi que l’épuisement des ressources naturelles dont dépendent directement les communautés autochtones. Le cas de l’Amazonie brésilienne illustre parfaitement cette problématique : l’expansion de l’industrie minière et de l’agrobusiness a entraîné la destruction de plus de 17% de la forêt amazonienne, menaçant directement la survie de plus de 300 groupes autochtones.
Sur le plan socioculturel, les projets extractifs provoquent souvent des déplacements forcés de populations, rompant ainsi le lien sacré que ces communautés entretiennent avec leurs terres ancestrales. Pour les peuples autochtones, le territoire ne représente pas uniquement un espace géographique ou une ressource économique, mais constitue le fondement même de leur identité, de leur spiritualité et de leurs savoirs traditionnels.
Études de cas emblématiques
Le conflit entre la communauté Mapuche au Chili et les entreprises forestières illustre cette dynamique destructrice. Les plantations industrielles d’eucalyptus et de pins ont provoqué l’assèchement des nappes phréatiques et la dégradation des sols sur les territoires ancestraux Mapuche, compromettant leur mode de vie traditionnel et leur souveraineté alimentaire.
De même, l’exploitation pétrolière dans le Nord de l’Équateur a causé des dommages irréversibles aux territoires des peuples Kichwa, Shuar et Waorani. Le célèbre procès intenté contre Chevron-Texaco a mis en lumière les conséquences dévastatrices de trois décennies d’extraction pétrolière : déversements toxiques, maladies, pertes culturelles et destruction écologique.
- Dégradation environnementale : pollution, déforestation, perte de biodiversité
- Impacts sanitaires : maladies liées à la contamination des eaux et des sols
- Rupture du tissu social : déplacements forcés, conflits intracommunautaires
- Menaces culturelles : perte des savoirs traditionnels et des pratiques ancestrales
La dimension économique ne peut être ignorée : les projets extractifs génèrent rarement des bénéfices substantiels pour les communautés locales, créant plutôt des enclaves économiques déconnectées des réalités territoriales. Ce modèle perpétue une forme de colonialisme interne où les ressources sont extraites des territoires périphériques pour enrichir les centres économiques nationaux ou internationaux.
Cadre juridique international pour la protection des terres autochtones
La protection des territoires autochtones s’inscrit dans un cadre normatif international qui a considérablement évolué ces dernières décennies. La Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), adoptée en 1989, constitue le premier instrument juridique contraignant spécifiquement consacré aux droits des peuples autochtones. Elle reconnaît explicitement les droits de propriété et de possession sur les terres qu’ils occupent traditionnellement et exige que les gouvernements prennent des mesures pour identifier ces terres et garantir leur protection effective.
En 2007, l’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) a marqué une avancée majeure. Bien que non contraignante juridiquement, cette déclaration affirme le droit des peuples autochtones à l’autodétermination et à la propriété des terres qu’ils possèdent, occupent ou utilisent traditionnellement. Elle consacre le principe du consentement libre, préalable et éclairé (CLPE), qui exige que les communautés autochtones soient consultées et donnent leur accord avant toute mesure susceptible d’affecter leurs terres ou leurs ressources.
Le principe du consentement libre, préalable et éclairé
Le CLPE représente un changement paradigmatique dans la relation entre les États, les entreprises et les peuples autochtones. Ce principe dépasse la simple consultation pour exiger un véritable consentement des communautés concernées. Pour être valide, ce consentement doit être :
- Libre : obtenu sans coercition, intimidation ou manipulation
- Préalable : recherché suffisamment en amont de toute autorisation ou début d’activité
- Éclairé : fondé sur une information complète et accessible concernant tous les aspects du projet
La Cour interaméricaine des droits de l’homme a joué un rôle fondamental dans le renforcement de cette protection juridique. Dans l’affaire Communauté Mayagna (Sumo) Awas Tingni c. Nicaragua (2001), la Cour a reconnu pour la première fois le droit collectif des peuples autochtones à leurs terres ancestrales. Cette jurisprudence a été confirmée et approfondie dans les affaires Saramaka c. Suriname (2007) et Kaliña et Lokono c. Suriname (2015), où la Cour a explicitement affirmé que les États doivent obtenir le consentement des communautés autochtones avant d’autoriser des projets d’extraction sur leurs territoires.
Au niveau national, plusieurs pays ont intégré ces normes internationales dans leur législation interne. La Constitution bolivienne de 2009 reconnaît explicitement le droit à l’autonomie et à l’autodétermination des peuples autochtones, incluant le contrôle sur leurs territoires et leurs ressources naturelles. De même, la Cour constitutionnelle colombienne a développé une jurisprudence progressiste concernant la consultation préalable, la déclarant obligatoire pour tout projet susceptible d’affecter les territoires autochtones.
Malgré ces avancées normatives, l’écart entre la reconnaissance formelle des droits et leur mise en œuvre effective reste considérable. Les mécanismes d’application demeurent souvent insuffisants, et les intérêts économiques liés à l’extractivisme exercent une forte pression sur les gouvernements. Dans de nombreux contextes, la consultation se transforme en simple formalité administrative, vidant le CLPE de sa substance transformatrice.
Stratégies de résistance et mobilisation autochtone
Face à l’avancée de l’extractivisme, les communautés autochtones ne restent pas passives. Elles développent des stratégies de résistance diversifiées qui combinent actions directes, recours juridiques et alliances stratégiques. Ces formes de mobilisation s’inscrivent dans un mouvement plus large d’autodétermination et de revendication de droits collectifs.
La résistance territoriale constitue souvent la première ligne de défense. En Amazonie brésilienne, les Munduruku ont mis en place un système d’auto-démarcation de leurs terres face à l’inaction gouvernementale et aux menaces minières. Cette pratique consiste à délimiter physiquement le territoire ancestral par des marquages visibles, accompagnés d’une documentation rigoureuse des sites culturels et des ressources naturelles. Cette cartographie communautaire sert ensuite de base pour les revendications juridiques.
Le recours aux tribunaux nationaux et internationaux représente une autre stratégie fondamentale. L’affaire emblématique du peuple Sarayaku contre l’État équatorien illustre l’efficacité potentielle de cette approche. Après une lutte juridique de plus de dix ans, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a condamné l’Équateur en 2012 pour avoir autorisé des activités pétrolières sur le territoire Sarayaku sans consultation préalable. Cette victoire a non seulement permis de protéger leurs terres, mais a établi un précédent juridique majeur pour d’autres communautés.
Alliances stratégiques et mobilisation internationale
La construction d’alliances transnationales amplifie considérablement l’impact des luttes autochtones. Le mouvement contre l’oléoduc Dakota Access Pipeline aux États-Unis a mobilisé non seulement la nation Sioux de Standing Rock, mais aussi des centaines d’autres communautés autochtones, des organisations environnementales et des militants des droits humains du monde entier. Cette convergence a généré une visibilité médiatique internationale et exercé une pression significative sur les investisseurs du projet.
L’utilisation stratégique des médias sociaux et des technologies numériques transforme également les modalités de résistance. Des communautés comme les Waorani en Équateur ont développé des applications de cartographie participative qui documentent l’utilisation traditionnelle des terres et surveillent les intrusions illégales. Ces outils technologiques, combinés à des campagnes virales sur les réseaux sociaux, permettent de contourner les médias traditionnels et de sensibiliser directement l’opinion publique mondiale.
- Création de « gouvernements autonomes » et élaboration de protocoles communautaires
- Formation d’alliances avec des ONG environnementales et des mouvements sociaux
- Participation aux forums internationaux (ONU, COP climatiques)
- Développement d’alternatives économiques durables
Le développement d’alternatives économiques viables constitue une dimension fondamentale de ces résistances. Des initiatives comme la certification forestière communautaire au Mexique ou l’écotourisme autochtone en Australie démontrent que la protection territoriale peut s’articuler avec des activités génératrices de revenus respectueuses des valeurs culturelles et environnementales. Ces expériences réfutent l’argument selon lequel l’extractivisme serait la seule voie possible de développement économique.
Ces multiples formes de résistance ne sont pas sans risques. Les défenseurs autochtones des territoires figurent parmi les groupes les plus menacés au monde. Selon Global Witness, plus de 200 défenseurs de l’environnement sont assassinés chaque année, dont une proportion significative d’autochtones. Cette violence systémique souligne les enjeux de pouvoir fondamentaux qui sous-tendent les conflits extractifs.
Reconnaissance juridique des savoirs écologiques autochtones
La protection des territoires autochtones ne peut se limiter à une approche strictement foncière. Elle doit intégrer la reconnaissance des systèmes de connaissances et des pratiques de gestion environnementale développés par ces communautés au fil des siècles. Ces savoirs écologiques traditionnels constituent un patrimoine intellectuel collectif intrinsèquement lié au territoire.
Les savoirs écologiques autochtones (SEA) englobent un ensemble complexe de connaissances, pratiques et croyances concernant les relations entre les êtres vivants et leur environnement. Contrairement aux sciences occidentales qui privilégient la compartimentalisation, les SEA adoptent une approche holistique qui intègre dimensions matérielles et spirituelles. Ces systèmes de connaissances sont dynamiques, cumulatifs et adaptés aux spécificités locales.
La Convention sur la diversité biologique (CDB), adoptée en 1992, reconnaît dans son article 8(j) l’importance de ces savoirs pour la conservation de la biodiversité. Elle engage les États signataires à « respecter, préserver et maintenir les connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales ». Le Protocole de Nagoya (2010) renforce cette protection en établissant un cadre pour l’accès aux ressources génétiques et le partage juste des avantages découlant de leur utilisation.
Protection contre la biopiraterie
La biopiraterie – appropriation illégitime des ressources biologiques et des connaissances traditionnelles associées – représente une forme particulièrement insidieuse d’extractivisme. Des cas emblématiques comme le brevetage du neem (Azadirachta indica) ou de l’ayahuasca (Banisteriopsis caapi) par des entreprises occidentales illustrent cette problématique. Face à ces menaces, plusieurs pays ont développé des régimes sui generis de protection des savoirs traditionnels.
Le Pérou a adopté en 2002 une loi pionnière qui établit un registre des connaissances collectives des peuples autochtones et exige un consentement préalable pour toute utilisation commerciale. L’Inde a créé une Bibliothèque numérique des savoirs traditionnels qui documente les utilisations médicinales de milliers de plantes, servant d’outil défensif contre les brevets abusifs. Ces initiatives visent à protéger les droits intellectuels collectifs sans les réduire au paradigme individualiste de la propriété intellectuelle conventionnelle.
- Documentation et enregistrement des savoirs traditionnels
- Développement de protocoles communautaires bioculturels
- Création de systèmes sui generis de protection intellectuelle collective
- Intégration des savoirs autochtones dans la gestion environnementale officielle
La reconnaissance juridique des savoirs écologiques autochtones s’étend progressivement à la gestion des aires protégées. Le modèle des territoires et aires conservés par les peuples autochtones et communautés locales (APAC) gagne en légitimité internationale. Ces espaces, gouvernés selon des systèmes traditionnels de gestion, démontrent souvent une efficacité supérieure aux aires protégées conventionnelles en termes de conservation de la biodiversité.
L’expérience du parc national Uluru-Kata Tjuta en Australie, cogéré par les Anangu, ou celle de la réserve communautaire Kichwa de Kushillu Urku en Équateur, illustrent comment la reconnaissance juridique des savoirs et pratiques autochtones peut transformer l’approche de la conservation. Ces modèles dépassent la dichotomie nature/culture pour promouvoir une vision intégrée où les communautés humaines font partie intégrante des écosystèmes qu’elles protègent.
Cette évolution normative reste néanmoins confrontée à des obstacles conceptuels profonds. Les systèmes juridiques dominants peinent à accommoder la dimension collective et intergénérationnelle des savoirs autochtones. La tendance à réduire ces connaissances à des « informations » extractibles de leur contexte culturel et territorial reproduit une logique extractiviste sous couvert de protection juridique.
Vers une justice environnementale transformatrice
La défense des territoires autochtones face à l’extractivisme dépasse largement la simple protection de droits fonciers. Elle s’inscrit dans une vision plus large de justice environnementale qui remet en question les modèles dominants de développement et propose des alternatives systémiques. Cette approche transformatrice articule dimensions juridiques, politiques, économiques et culturelles.
La notion de justice environnementale, née dans les années 1980 aux États-Unis en réaction au racisme environnemental, s’est considérablement enrichie au contact des luttes autochtones. Elle intègre désormais des dimensions comme la justice climatique, la souveraineté alimentaire et les droits de la nature. Cette évolution conceptuelle permet d’appréhender les injustices extractives dans toute leur complexité systémique.
Le concept de buen vivir (sumak kawsay en quechua, suma qamaña en aymara), issu des cosmovisions autochtones andines, offre une alternative philosophique au paradigme extractiviste. Cette vision du bien-être collectif, fondée sur l’harmonie entre communautés humaines et non-humaines, a inspiré des innovations juridiques majeures. Les constitutions équatorienne (2008) et bolivienne (2009) reconnaissent explicitement le buen vivir comme principe directeur et, dans le cas équatorien, accordent des droits à la nature elle-même.
Réformes systémiques et transitions post-extractivistes
La protection effective des territoires autochtones exige des transformations structurelles profondes. Les expériences de gouvernance territoriale autochtone, comme celle des Misak en Colombie ou des Māori en Nouvelle-Zélande, démontrent la viabilité de modèles alternatifs fondés sur l’autonomie politique et la gestion collective des ressources naturelles. Ces initiatives dépassent la simple résistance défensive pour construire des propositions positives de gouvernance territoriale.
Sur le plan économique, le concept de transitions post-extractivistes gagne du terrain dans plusieurs pays d’Amérique latine. Cette approche prône une diversification économique progressive réduisant la dépendance aux industries extractives tout en renforçant les économies locales et solidaires. Des expériences comme l’Initiative Yasuní-ITT en Équateur (proposition de laisser le pétrole sous terre en échange d’une compensation internationale) illustrent les défis et potentialités de ces transitions.
- Réforme des cadres d’évaluation d’impact environnemental et social
- Reconnaissance constitutionnelle des droits territoriaux autochtones
- Développement de mécanismes de financement pour la conservation communautaire
- Transformation des modèles économiques extractifs vers des alternatives durables
La dimension climatique devient incontournable dans ce débat. Les territoires autochtones abritent une part significative des forêts et de la biodiversité mondiales, jouant un rôle stratégique dans l’atténuation du changement climatique. Des études scientifiques démontrent que les zones forestières sous gestion autochtone présentent des taux de déforestation inférieurs aux aires protégées conventionnelles. Cette réalité a conduit à l’inclusion progressive des droits autochtones dans les mécanismes climatiques comme REDD+ (Réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts).
La reconnaissance des droits autochtones dans les politiques climatiques reste néanmoins ambivalente. Si elle ouvre des possibilités de financement pour la protection territoriale, elle risque également d’introduire de nouvelles formes d’extractivisme – cette fois ciblant le « capital naturel » et les « services écosystémiques ». La marchandisation du carbone forestier peut reproduire des logiques d’appropriation externe si elle n’est pas fermement ancrée dans le respect de l’autonomie territoriale autochtone.
Face à ces défis, l’émergence d’une diplomatie autochtone internationale constitue un développement majeur. Le Forum international des peuples autochtones sur le changement climatique, le Caucus autochtone de la CDB ou le Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones des Nations Unies représentent des espaces où s’élaborent des propositions alternatives de gouvernance mondiale. Cette présence autochtone dans les forums internationaux transforme progressivement les termes du débat sur l’extractivisme et ses alternatives.
L’horizon des possibles : repenser la relation aux territoires
La lutte pour la protection des territoires autochtones contre l’extractivisme nous invite à une réflexion profonde sur notre rapport collectif à la terre et aux ressources naturelles. Au-delà des réformes juridiques et politiques, elle ouvre un horizon de possibilités pour repenser fondamentalement nos modèles de société et nos relations avec le monde vivant.
L’opposition entre visions extractivistes et cosmovisions autochtones révèle un conflit ontologique fondamental. D’un côté, une conception de la nature comme ensemble de ressources à exploiter ; de l’autre, une vision relationnelle où humains et non-humains forment une communauté d’interdépendance. Cette divergence ne se limite pas à une question culturelle, mais interroge les fondements mêmes de nos systèmes économiques, juridiques et politiques.
Les innovations juridiques inspirées par les cosmovisions autochtones offrent des pistes prometteuses pour dépasser cette opposition. La reconnaissance des droits de la nature en Équateur, Bolivie, Nouvelle-Zélande et Colombie représente une rupture conceptuelle majeure avec l’anthropocentrisme juridique dominant. En Nouvelle-Zélande, le fleuve Whanganui s’est vu reconnaître une personnalité juridique en 2017, conformément à la vision Māori qui le considère comme un ancêtre vivant (Te Awa Tupua). Cette innovation juridique traduit en termes légaux une relation au territoire radicalement différente de l’approche extractiviste.
Pluralisme juridique et dialogue interculturel
Le pluralisme juridique – reconnaissance de la coexistence de différents systèmes normatifs au sein d’un même espace social – offre un cadre conceptuel pour articuler droits étatiques et systèmes juridiques autochtones. Des pays comme la Colombie ou le Canada ont développé des jurisprudences sophistiquées reconnaissant l’autorité des lois coutumières autochtones sur leurs territoires traditionnels. Ces développements ouvrent la voie à une véritable interculturalité juridique où différentes traditions normatives peuvent dialoguer d’égal à égal.
Cette approche pluraliste s’étend progressivement à la gouvernance environnementale. Le concept de cogestion adaptative propose des modèles où savoirs scientifiques occidentaux et connaissances écologiques autochtones se complètent mutuellement. L’expérience du parc national Wood Buffalo au Canada, où les Premières Nations Cree et Dene participent à la gestion intégrée des écosystèmes, illustre le potentiel de ces approches hybrides.
- Reconnaissance des systèmes de gouvernance territoriale autochtones
- Intégration des cosmovisions relationnelles dans les cadres juridiques
- Développement de modèles économiques fondés sur la réciprocité
- Création d’espaces de dialogue interculturel sur les conceptions du territoire
Sur le plan économique, les modèles autochtones offrent des inspirations précieuses pour une transition post-extractiviste. Des concepts comme l’économie de la réciprocité chez les Quechua ou la gouvernance des communs chez les peuples forestiers proposent des alternatives à la dichotomie marché/État. Ces approches, fondées sur la gestion collective des ressources et l’échange non marchand, nourrissent aujourd’hui les réflexions sur l’économie sociale et solidaire, l’économie circulaire et les communs globaux.
La défense des territoires autochtones s’inscrit ainsi dans un mouvement plus large de décolonisation qui dépasse la simple restitution de terres pour interroger les structures de pouvoir et de savoir héritées du colonialisme. Ce processus exige une remise en question profonde des hiérarchies épistémiques qui ont systématiquement dévalorisé les connaissances et pratiques autochtones au profit du savoir scientifique occidental.
Le défi consiste désormais à construire des ponts interculturels permettant un véritable dialogue entre différentes manières d’habiter et de penser le territoire. Des initiatives comme les protocoles bioculturels communautaires, développés par des communautés autochtones pour expliciter leurs valeurs et pratiques territoriales, constituent des outils précieux pour faciliter ce dialogue. Ces documents, élaborés selon les propres termes des communautés, permettent d’articuler vision autochtone et cadres juridiques conventionnels.
En définitive, la résistance autochtone à l’extractivisme nous invite à une transformation profonde de notre imaginaire collectif concernant le développement, le progrès et notre place dans le monde vivant. Elle nous rappelle que la protection des territoires ne se limite pas à une question technique de droits fonciers, mais engage notre capacité collective à inventer des relations plus justes et durables avec la Terre que nous habitons tous.