L’Encadrement Juridique des Partenariats Climatiques Publics-Privés : Défis et Perspectives

Face à l’urgence climatique, les partenariats entre acteurs publics et privés s’imposent comme un levier d’action privilégié pour accélérer la transition écologique. Ces collaborations soulèvent toutefois des questions juridiques complexes relatives à leur encadrement, leur gouvernance et leur efficacité. L’architecture normative entourant ces partenariats climatiques publics-privés (PCPP) reste fragmentée, entre droit international, européen et national. La multiplication de ces partenariats, aux formes diverses, appelle une réflexion approfondie sur les mécanismes juridiques permettant d’assurer leur légitimité, leur transparence et leur contribution effective à l’atténuation du changement climatique.

Fondements juridiques des partenariats climatiques publics-privés

Les partenariats climatiques publics-privés s’inscrivent dans un cadre normatif multiniveau qui s’est progressivement construit depuis l’Accord de Paris. Ce texte fondateur a explicitement reconnu le rôle des acteurs non-étatiques dans son préambule, ouvrant la voie à une gouvernance climatique plus inclusive. L’article 6 de l’Accord fournit notamment un socle juridique pour les coopérations entre entités publiques et privées en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Au niveau européen, le Pacte vert et le règlement sur la taxonomie verte constituent des piliers réglementaires encadrant ces partenariats. Le règlement 2020/852 établit un système de classification des activités économiques durables qui sert de référentiel commun pour les acteurs publics et privés. Cette nomenclature standardisée facilite l’identification des projets éligibles aux financements mixtes et permet de lutter contre l’écoblanchiment dans les partenariats climatiques.

En droit français, les contrats de partenariat public-privé climatiques s’appuient sur plusieurs dispositifs juridiques. La loi Climat et Résilience du 22 août 2021 a renforcé le cadre des partenariats en intégrant des critères environnementaux obligatoires dans la commande publique. L’ordonnance n°2015-899 relative aux marchés publics et le Code de la commande publique offrent des mécanismes contractuels adaptables aux projets climatiques, comme les marchés de partenariat ou les contrats de concession.

La notion juridique de partenariat climatique public-privé reste néanmoins en construction. Elle se distingue des PPP classiques par son objet spécifiquement orienté vers l’atténuation ou l’adaptation au changement climatique, ainsi que par l’intégration de mécanismes d’évaluation des performances environnementales. Cette spécificité se traduit par l’émergence de clauses contractuelles innovantes, telles que les obligations de résultat carbone ou les mécanismes de partage des risques climatiques.

Typologie juridique des partenariats climatiques

L’analyse des fondements juridiques permet d’établir une typologie des PCPP selon leur structure formelle :

  • Les contrats de performance énergétique (CPE), encadrés par la directive européenne 2012/27/UE
  • Les sociétés d’économie mixte à opération unique (SEMOP) dédiées aux projets climatiques
  • Les contrats de transition écologique (CTE) associant collectivités et entreprises
  • Les partenariats d’innovation climatique régis par l’article L.2172-3 du Code de la commande publique

Cette diversité des véhicules juridiques reflète l’adaptation du droit aux spécificités des projets climatiques, mais pose la question de la cohérence d’ensemble du cadre normatif. La jurisprudence administrative commence à préciser les contours de ces partenariats, notamment concernant l’intégration de critères environnementaux dans les appels d’offres et l’évaluation des performances climatiques.

Régulation des financements mixtes dans les projets climatiques

La question du financement constitue un enjeu central dans l’encadrement juridique des partenariats climatiques publics-privés. Les mécanismes de financements mixtes, combinant ressources publiques et capitaux privés, nécessitent un cadre réglementaire spécifique pour garantir leur efficacité et leur transparence. Le règlement européen 2021/1060 établit des dispositions communes relatives aux fonds européens mobilisables pour des projets climatiques et encadre leur articulation avec les investissements privés.

La Banque européenne d’investissement (BEI) joue un rôle pivot dans la structuration juridique de ces financements mixtes. Sa nouvelle politique de prêt dans le secteur de l’énergie, adoptée en 2019, a établi des critères d’éligibilité stricts pour les projets énergétiques, excluant notamment les infrastructures liées aux combustibles fossiles. Cette évolution normative influence directement la conception des partenariats climatiques en orientant les financements vers des projets alignés avec les objectifs de l’Accord de Paris.

Au niveau national, le droit budgétaire a évolué pour faciliter ces partenariats financiers. La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) a été modifiée pour permettre une meilleure traçabilité des dépenses liées à la transition écologique. L’article 174 de la loi Climat et Résilience a instauré l’obligation d’un rapport annuel sur les incidences environnementales du budget, renforçant ainsi la transparence des financements publics mobilisés dans les partenariats climatiques.

Les obligations vertes (green bonds) constituent un instrument financier en plein essor dans le cadre des PCPP. Leur régime juridique a été précisé par le règlement européen 2023/2631 sur les obligations vertes européennes, qui établit un standard volontaire pour ces titres financiers. Ce texte impose notamment des exigences de transparence sur l’utilisation des fonds et l’impact environnemental des projets financés, créant ainsi un cadre de confiance pour les investisseurs privés.

Mécanismes de contrôle des flux financiers

Pour prévenir les risques d’écoblanchiment, plusieurs dispositifs juridiques encadrent les flux financiers dans les PCPP :

  • Le règlement 2019/2088 sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (SFDR)
  • L’obligation de reporting extra-financier pour les entreprises participant aux partenariats, renforcée par la directive 2022/2464 sur le reporting de durabilité (CSRD)
  • Les mécanismes de vérification par des tiers indépendants des allégations environnementales
  • Le contrôle juridictionnel exercé par la Cour des comptes et les juridictions financières sur l’utilisation des fonds publics

Ces dispositifs juridiques visent à garantir que les financements mixtes contribuent effectivement aux objectifs climatiques affichés. Ils participent à la construction d’un droit financier du climat, encore émergent mais en rapide consolidation.

Gouvernance et transparence : cadre normatif des processus décisionnels

La gouvernance des partenariats climatiques publics-privés soulève d’importantes questions juridiques relatives aux processus décisionnels et à la répartition des responsabilités entre acteurs. Le droit administratif traditionnel, fondé sur une séparation nette entre sphère publique et privée, se trouve bousculé par ces formes hybrides de collaboration. La jurisprudence du Conseil d’État a progressivement précisé les contours de cette gouvernance partagée, notamment dans sa décision n°420654 du 12 mars 2020 qui reconnaît la spécificité des partenariats environnementaux.

Le principe de transparence s’impose comme une exigence fondamentale dans l’encadrement juridique des PCPP. La Convention d’Aarhus, ratifiée par la France et l’Union européenne, garantit l’accès à l’information environnementale et la participation du public aux décisions ayant un impact sur l’environnement. Son application aux partenariats climatiques se traduit par des obligations procédurales spécifiques : consultation préalable, études d’impact environnemental, et publication des données relatives aux performances climatiques des projets.

Les mécanismes de participation citoyenne s’intègrent progressivement dans le cadre normatif des PCPP. La loi Climat et Résilience a renforcé le rôle de la Commission nationale du débat public (CNDP) pour les projets à fort impact environnemental. L’article L.121-15-1 du Code de l’environnement prévoit désormais une participation du public par voie électronique pour certains projets, y compris ceux menés en partenariat public-privé. Cette évolution législative répond aux critiques récurrentes sur le déficit démocratique de ces partenariats.

La question de la responsabilité juridique des partenaires constitue un enjeu majeur de l’encadrement normatif. Le partage des risques climatiques entre acteurs publics et privés nécessite des mécanismes contractuels innovants. Les tribunaux administratifs commencent à développer une jurisprudence spécifique sur la responsabilité en cas de non-atteinte des objectifs climatiques fixés dans les contrats de partenariat. Cette évolution jurisprudentielle s’inscrit dans un mouvement plus large de juridicisation des enjeux climatiques.

Mécanismes de résolution des différends

Les PCPP nécessitent des dispositifs adaptés de résolution des litiges :

  • Les clauses d’arbitrage spécialisées en droit de l’environnement
  • Les procédures de médiation environnementale prévues par l’article L.213-1 du Code de l’environnement
  • Le recours possible au Défenseur des droits pour les questions d’accès à l’information environnementale
  • Les actions en justice fondées sur le devoir de vigilance climatique des entreprises

Ces mécanismes juridiques contribuent à sécuriser les partenariats en offrant des voies de recours adaptées aux spécificités des projets climatiques. Ils participent à l’émergence d’un droit processuel du climat, composante indispensable de l’encadrement des PCPP.

Enjeux de conformité et d’évaluation des performances climatiques

L’efficacité des partenariats climatiques publics-privés repose sur leur capacité à produire des résultats mesurables en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre ou d’adaptation au changement climatique. Le cadre juridique de l’évaluation des performances climatiques s’est considérablement renforcé ces dernières années, sous l’impulsion du droit européen et international. Le règlement européen 2021/1119 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique (loi européenne sur le climat) impose des exigences de suivi et d’évaluation qui s’appliquent aux projets menés en partenariat.

La question des méthodes de comptabilisation carbone constitue un enjeu juridique majeur. La norme ISO 14064 fournit un cadre méthodologique pour quantifier et vérifier les émissions de gaz à effet de serre, mais son application dans les contrats de partenariat soulève des questions d’interprétation. La jurisprudence administrative commence à se prononcer sur la validité des méthodes de calcul utilisées, comme l’illustre la décision du Tribunal administratif de Paris du 3 février 2021 concernant l’évaluation des émissions liées à un projet d’infrastructure.

Les mécanismes de certification et labellisation jouent un rôle croissant dans l’encadrement juridique des PCPP. Le label Bas Carbone, créé par le décret n°2018-1043 du 28 novembre 2018, offre un cadre réglementaire pour la reconnaissance des projets de réduction d’émissions. Son articulation avec les partenariats publics-privés a été précisée par l’arrêté du 8 novembre 2021, qui définit les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales peuvent valoriser les réductions d’émissions issues de projets partenariaux.

La question de la conformité réglementaire se complexifie avec la multiplication des normes environnementales applicables aux PCPP. Le respect du principe de non-régression environnementale, inscrit à l’article L.110-1 du Code de l’environnement, impose des contraintes spécifiques aux partenariats. La Cour de justice de l’Union européenne a développé une jurisprudence exigeante sur l’application du principe de précaution aux projets environnementaux, qui influence directement la conception juridique des partenariats climatiques.

Dispositifs de contrôle et de sanction

L’encadrement juridique des performances climatiques s’appuie sur plusieurs mécanismes :

  • Les audits obligatoires de conformité environnementale prévus par la directive 2014/95/UE
  • Les sanctions contractuelles en cas de non-atteinte des objectifs climatiques (pénalités, résiliation)
  • Le contrôle exercé par l’Autorité environnementale sur les études d’impact des projets
  • Les mécanismes de responsabilité élargie du producteur appliqués aux partenariats

Ces dispositifs juridiques visent à garantir l’effectivité des engagements climatiques pris dans le cadre des partenariats. Ils s’inscrivent dans une tendance plus large de renforcement des obligations de résultat en matière environnementale, au-delà des simples obligations de moyens traditionnellement privilégiées.

Perspectives d’évolution du cadre juridique : vers un droit spécifique des partenariats climatiques

L’encadrement juridique des partenariats climatiques publics-privés se trouve à un carrefour d’évolutions normatives majeures. La fragmentation actuelle du cadre réglementaire appelle une consolidation progressive vers un corpus juridique spécifique. Le Conseil d’État, dans son étude annuelle 2023, a souligné la nécessité d’unifier les règles applicables aux partenariats environnementaux pour renforcer leur sécurité juridique et leur efficacité. Cette évolution pourrait prendre la forme d’un chapitre dédié dans le Code de l’environnement ou d’une loi-cadre sur les partenariats climatiques.

L’influence du contentieux climatique sur l’encadrement des PCPP constitue une dynamique majeure. Les décisions de justice comme l’affaire Grande-Synthe (CE, 19 novembre 2020) ou l’affaire Commune de Paris c/ Total (TA Paris, 8 février 2023) établissent progressivement des standards juridiques applicables aux partenariats. Cette jurisprudence climatique en construction définit notamment les contours de l’obligation de vigilance climatique des acteurs publics et privés dans leurs collaborations.

L’harmonisation internationale des cadres juridiques apparaît comme un enjeu déterminant. Les travaux de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) sur les PPP durables visent à établir des lignes directrices communes. Le projet de Traité sur la charte de l’énergie modernisé, en cours de négociation, pourrait également influencer l’encadrement des partenariats dans le secteur énergétique en renforçant les garanties environnementales.

Les innovations contractuelles constituent un vecteur majeur d’évolution du cadre juridique. Les contrats à impact environnemental, inspirés des contrats à impact social, émergent comme un nouvel outil juridique adapté aux partenariats climatiques. Ces contrats, qui conditionnent la rémunération des partenaires privés à l’atteinte d’objectifs environnementaux mesurables, nécessitent un cadre réglementaire spécifique en cours d’élaboration. Le rapport parlementaire Canfin-Zaouati de 2022 a formulé des recommandations précises pour leur déploiement dans le droit français.

Défis juridiques émergents

Plusieurs défis juridiques devront être relevés dans l’évolution future du cadre normatif :

  • L’articulation entre droit dur (réglementation contraignante) et droit souple (normes volontaires) dans la régulation des partenariats
  • L’intégration des enjeux de justice climatique dans les contrats de partenariat
  • La prise en compte des risques systémiques liés au changement climatique dans les mécanismes d’allocation des risques
  • L’adaptation du cadre juridique aux innovations technologiques (blockchain, intelligence artificielle) utilisées dans le suivi des performances climatiques

Ces défis appellent une approche juridique innovante, capable d’intégrer la complexité et l’interdisciplinarité inhérentes aux enjeux climatiques. La construction progressive d’un droit spécifique des partenariats climatiques publics-privés apparaît comme une nécessité pour accompagner la transition écologique de nos économies.

Vers une responsabilité climatique partagée : le nouveau paradigme juridique

L’évolution de l’encadrement juridique des partenariats climatiques publics-privés s’inscrit dans un mouvement plus profond de transformation du droit face à l’urgence climatique. L’émergence d’un principe de responsabilité climatique partagée entre acteurs publics et privés constitue un changement de paradigme juridique majeur. Ce principe, reconnu implicitement par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Duarte Agostinho c. Portugal et autres (2023), implique une redéfinition des obligations respectives des États et des entreprises dans la lutte contre le changement climatique.

Cette évolution conceptuelle se traduit par l’apparition de nouvelles formes juridiques hybrides. Les sociétés à mission climatique, instituées par la loi PACTE de 2019 et précisées par le décret n°2020-1 du 2 janvier 2020, offrent un cadre juridique innovant pour les partenariats public-privé à vocation climatique. Cette forme sociale, qui permet d’inscrire des objectifs environnementaux dans les statuts d’une entreprise, facilite l’alignement des intérêts publics et privés dans les projets climatiques.

La territorialisation du droit des partenariats climatiques constitue une tendance forte. Les collectivités territoriales développent des cadres juridiques locaux adaptés à leurs spécificités, dans les limites de leurs compétences. La métropole de Lyon a ainsi adopté en 2022 une charte des partenariats climat-énergie qui établit des exigences contractuelles spécifiques pour les projets menés sur son territoire. Cette décentralisation normative pose la question de l’articulation entre échelons territoriaux et de la cohérence d’ensemble du cadre juridique.

L’internationalisation des standards juridiques s’accélère, sous l’influence notamment de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Ses lignes directrices sur les partenariats public-privé pour les infrastructures durables, publiées en 2021, établissent des principes qui influencent progressivement les législations nationales. Cette convergence normative favorise l’émergence d’un droit transnational des partenariats climatiques, particulièrement pertinent pour les projets impliquant plusieurs juridictions.

Applications pratiques du nouveau paradigme

La mise en œuvre concrète de ce nouveau paradigme juridique s’observe dans plusieurs domaines :

  • Les communautés énergétiques citoyennes définies par la directive 2019/944/UE, qui associent collectivités, entreprises et citoyens
  • Les contrats de transition écologique territorialisés, qui adaptent les engagements climatiques aux réalités locales
  • Les alliances sectorielles pour la décarbonation encadrées par des protocoles juridiques spécifiques
  • Les fonds fiduciaires climatiques multi-acteurs, dont le régime juridique se précise progressivement

Ces applications concrètes témoignent d’un droit en mouvement, qui s’adapte aux besoins spécifiques des partenariats climatiques tout en maintenant les garanties fondamentales de l’État de droit. Elles illustrent la capacité du système juridique à innover face aux défis sans précédent posés par le changement climatique.

En définitive, l’encadrement juridique des partenariats climatiques publics-privés se construit à l’intersection de multiples branches du droit – environnemental, administratif, des affaires, international – et reflète la complexité des enjeux climatiques contemporains. Son évolution vers un corpus juridique plus cohérent et adapté constitue un défi majeur pour les juristes et les décideurs publics. La construction progressive d’un droit des partenariats climatiques participe ainsi à l’émergence plus large d’un droit de la transition écologique, dont les principes et mécanismes sont encore en gestation mais dont la nécessité apparaît chaque jour plus évidente.